Un peu de tout et de tout un peu

Un peu de tout et de tout un peu

Petite anthropologie des visiteurs rencontrés en salons ou en librairie

 

La fréquentation des salons littéraires ou des clients de librairie lors de dédicace m'a permis de découvrir une faune assez particulière que je me suis amusée à classifier.

 

Les indifférents : pressés ou flâneurs, ils passent devant vous en fixant la ligne d'horizon, ce point de fuite loin devant eux, le bien nommé puisqu'il fuit à mesure que vous croyez vous en rapprocher. Si vous apparaissez dans leur champ de vision, alors ils détournent la tête au dernier moment leur attention subitement attirée ailleurs, loin au-dessus de vous.

 

Les importuns : ils s'arrêtent juste devant votre stand, en s'appuiant bien contre votre table tout en vous tournant le dos pour discuter avec une connaissance qu’ils viennent de croiser, ils n’en ont rien à cirer que leur présence empêche de s’arrêter chez vous d'éventuels visiteurs intéressés. Au rang des importuns : ceux qui viennent vous demander si vous savez où se trouve tel ou tel article, ou bien où se trouvent les toilettes, ou à quelle heure ferme le magasin. "Non, moi, je suis ici pour présenter mes livres" Je reconnais que parfois certains prennent alors la peine de vous demander ce que vous écrivez.

 

Les sensitifs : ils donnent l’impression de vouloir s’arrêter mais se détournent dès qu’on fait mine de les interpeller. Certains s’arrêtent mais s’en vont sans répondre dès qu’on leur dit bonjour. D’autres répondent à votre bonjour d’un signe de tête mais se reculent avec effroi lorsque vous leur tendez votre flyer publicitaire ou lorsque vous leur demandez si vous pouvez leur parler de votre livre (après tout l’écrivain est là pour présenter son œuvre et en droit de penser que le visiteur vient parce qu’il veut découvrir du neuf).

 

Les manipulateurs de l’ascenseur émotionnel : ils s’arrêtent, vous sourient, feuillettent un exemplaire d’un air très intéressé (là, vous vous dites que ça y est !), vous posent trente-six questions auxquelles vous répondez avec passion (ben oui, vous êtes là pour ça?!), reposent enfin le livre sur la pile et s’en vont en vous souhaitant tout le succès que vous méritez (mais ils n’ont nulle envie de participer à ce succès car ils ne vous achètent rien) ou encore l'expression qui me tue : bon courage ! (pas vraiment encourageant). Au chapitre des manipulateurs je ne peux m'empêcher d'ajouter ceux que j'appelle les marionnettes. J'appelle ainsi ceux qui vous disent :-  je fais mon petit tour et je reviendrai vous voir. Rares sont ceux qui reviennent. Un petit tour et puis s'en vont ou alors ils repassent devant votre stand et font mine de ne plus vous voir, rejoignant la catégorie des indifférents. Certains reviennent parfois comme cette dame de retour vers vous après avoir lu votre flyer qui vous demande :-  Combien coûte votre livre ? Les prix sont inscrits sur le flyer mais je réponds quand même poliment en donnant le renseignement demandé. Et cette personne me quitte sur un :-  De toute façon, moi, je ne lis jamais rien, je n'aime pas lire...

 

Ceux qui ne lisent pas sont malheureusement légion : - Moi, je n'aime pas lire ... Réflexion souvent entendue et qui ne laisse pas de m'étonner moi qui adore lire. Réflexion plausible de la part de clients de grande surface (mais pourquoi passent-ils alors par le rayon librairie ?), possible aussi dans les magasins comme club ou cultura dont la vocation n'est pas que de vendre des livres, mais nettement moins compréhensible de la part de visiteurs de salons du livre. Ils me font penser à des végétariens qui iraient admirer les étalages d'une boucherie ou d'une poissonnerie.

 

A l'opposé, j'ai rencontré de grands lecteurs... très sélectifs : - J'aime beaucoup lire et je lis beaucoup mais ici je ne connais pas les auteurs alors je n'achète rien.( justement c'est pour vous les faire connaître qu'on a créé ce salon.) - Je ne lis que les grands auteurs et les auteurs connus (ils ont dû comme moi se faire connaître) - Moi, je ne lis les livres que lorsqu'ils sont en livre de poche...( ok, mais si je ne rencontre que des gens comme ça, il y a peu de chances qu'il se retrouve en livre de poche) Certains avouent leur addiction : J'ai trop lu dans ma vie, j'ai décidé d'arrêter.

 

Les méprisants : comme cette dame qui après avoir lu la quatrième de couverture a déposé le livre avec une petite moue ironique en ajoutant : "Je vois le genre" (je vois ton genre aussi...)

 

Les sympathiques comme ce monsieur qui attend en faisant les cent pas pendant que je dédicace mes livres et qui vient me dire : - Je ne viens pas vous acheter un livre mais je voudrais juste vous souhaiter un joyeux Noël.

 

Les frustrés et les bras cassés : ceux qui vous racontent leurs démêlés avec les éditeurs, les refus auxquels ils ont été confrontés, ou leur peur d'être édités, ou qui vous demandent conseil pour savoir comment vous avez fait pour publier. Ils en profitent pour vous raconter ce qu'ils ont écrit eux-mêmes mais ne vous laissent pas placer un mot à propos des livres que vous présentez... Parmi ces frustrés, les écrivains en puissance qui n'ont jamais rien écrit mais qui détiennent en eux le best-seller si pas le Nobel de littérature :-  Vous savez, moi aussi je pourrais écrire un livre, ma vie est un vrai roman, vous n'imaginez pas tout ce que je pourrais écrire (mais allez-y, pourquoi ne pas le faire ? ) et les voilà qui me racontent leur vie, leurs problèmes, ... et ils vous quittent juste après parfois même sans vous avoir dit au revoir. Vos livres, ils n'en ont rien à cirer car le leur serait beaucoup mieux, ils auraient eu des choses tellement plus intéressantes à dire que celles que vous avez écrites et qu'ils n'ont du coup pas du tout envie de découvrir. Déformation professionnelle, j'écoute toujours les gens me raconter leurs problèmes, et tant qu'à faire je note certains détails dans un coin de ma mémoire, ça peut toujours servir.

 

On entend aussi des commentaires assez drôles ou interpellants.

 

- Mais où avez-vous appris à écrire ? Moi : A l'école madame !

 

Votre livre (Ndlr : Temps de guerre, temps de paix) c'est l'histoire de mon grand père mais lui il n'a pas eu de liaison quand il était prisonnier, dit une dame avec un ton désapprobateur avant de s'éloigner.

 

- Ce roman évoque la vie d'une famille italienne, il est construit au départ des souvenirs de ma famille - Une histoire d'immigrés ? Ca ne m'interesse pas, des migrants y en a trop en Belgique on devrait les expulser ! (Ah si on pouvait expulser les cons ...)

 

- C'est votre photo au dos du livre ? - Oui ! - Ah, alors c'est vous qui l'avez écrit ? (ben oui, autrement je ne vois pas pourquoi ma photo y figurerait)

 

Tous ces livres sur la table, c'est vous qui les avez écrits ? - Oui monsieur. - Ah, donc on peut dire que vous êtes écrivain... - Oui, on peut dire cela. - Merci madame, bonne continuation...

 

Et enfin je ponds aussi mes perles : ainsi au cours d'un salon, j'achète un livre à un auteur, qui m'en a aussi acheté un. Evidemment on se dédicace mutuellement nos livres. Le lendemain, je me rends compte que je me suis trompée de prénom en lui dédicaçant mon livre. Une autre fois, j'ai dit à quelqu'un qu'on pouvait trouver mes livres dans toutes les bonnes pharmacies... ah déformation professionnelle encore et toujours, mais le plus curieux c'est que la personne à qui j'ai répondu cela n'a pas eu l'air étonnée, elle a sûrement fait la conversion elle-même.

 

 

 

 



28/11/2018
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