Un peu de tout et de tout un peu

Un peu de tout et de tout un peu

Médecin et écrivain, comment est-ce possible ? (Tribune du Journal du médecin du 01/09/2017)

Voici plusieurs années déjà, je m’étais amusée de l’étonnement manifesté par un de nos enfants, quelques semaines après être entré en classe maternelle, lorsqu’il avait rencontré son institutrice en train de se promener dans le même endroit que nous. Nous lui avions expliqué alors que sa maîtresse d’école avait une vie en dehors de son travail, une maison, une famille, des amis et des loisirs.

J’évoque cette anecdote parce que j’éprouve le même amusement lorsqu’au cours des salons où j’expose mes toiles ou présente mes livres, j’entends des visiteurs s’étonner du fait que j’écris et que je peins alors que je suis médecin généraliste toujours en activité. La question : «Mais comment trouvez-vous le temps d’écrire ou de peindre avec une profession si prenante ? » est souvent posée par mes interlocuteurs du moment, parfois sur un ton où je sens comme un peu de réprobations à l’idée que ce temps consacré à mes hobbies, je l’enlève à mes patients. Je suis alors partagée entre l’amusement et la contrariété en constatant que ces personnes ne voient plus en moi l’auteur ou le peintre que je leur montre, mais exclusivement un médecin qui se dévoie sur des chemins de traverse qui seraient incompatibles avec la voie professionnelle. Amusement parce que je me retrouve comme avec mes enfants à devoir expliquer que ma vie ne se résume pas à ma profession et que j’aime à mettre en pratique ma créativité autrement comme cela est le cas aussi pour bon nombre de mes consoeurs et mes confrères.

Mon sentiment de contrariété vient du fait que, dans cette interrogation quant à la difficulté voire l’impossibilité pour un médecin de pouvoir se consacrer à autre chose qu’à sa profession, on voit que la représentation la plus populaire est celle du médecin qui ne vivrait jour et nuit qu'avec son stéthoscope au cou et le téléphone à l’oreille, consacrant sa vie et son temps à ses patients et ne s’accordant aucun repos, aucune distraction. Bref, nombreux sont encore ceux qui considèrent que la médecin ne peut être qu’un sacerdoce dévorant. N’est-il pas effrayant de constater que le médecin dans l’imaginaire collectif est celle finalement d’un individu débordé, proche du burn-out voire déjà en plein burn-out ?

« Medice, cura te ipsum » : s’il veut vraiment être utile, un médecin se doit de prendre d’abord soin de lui-même, en veillant à garder un juste équilibre entre vie professionnelle et vie privée, entre travail et loisirs. La pratique d’un art sous quelque forme que ce soit, le sport, les activités en rapport avec la nature, la musique, la lecture (autre que celle de la littérature médicale si bonne soit-elle), le partage d’activités avec sa famille sont autant de moyens nécessaires pour nous soigner, évacuer la pression de notre travail qui nous plonge quotidiennement dans une réalité douloureuse. Justement parce que notre profession est prenante, exigeante et lourde, nous avons besoin de soupapes de sécurité, d’aires de détente sur notre parcours. On nous impose une formation complémentaire pour maintenir nos compétences professionnelles, heures de formation qui empiètent sur nos heures de loisirs et de repos, au risque d’en faire bondir certains, ne pourrait-on nous « imposer » de prouver que nous avons un hobby quelconque ?

Nous, médecins, abordons l’humanité quasi exclusivement par le biais de sa fragilité, de ses blessures, de ses dysfonctionnements, au risque de ne plus voir l’être humain que comme un malade présent ou à venir. N’est-ce pas important pour appréhender nos patients dans leur globalité que nous prenions le temps de partager des activités qui nous les font rencontrer autrement que comme simplement des patients justement ? Et en conséquence, nous prouvons ainsi que nous sommes nous aussi des êtres humains à part entière, qui vivent en dehors de leur cabinet médical, qui savent faire autre chose que la pratique de la médecine. Le besoin de nous ressourcer ne se limite pas seulement à quelques jours ou quelques semaines de vacances annuelles, il est nécessaire d’avoir notre ballon d’oxygène tous les jours à notre portée. Respecter ce besoin vital me semble capital pour la survie de notre profession.

http://www.lejournaldumedecin.com/actualite/medecin-generaliste-et-ecrivain-comment-est-ce-possible/article-opinion-30601.html

 



01/09/2017
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