Un peu de tout et de tout un peu

Un peu de tout et de tout un peu

Les maladies auto-immunes : une histoire de tolérance rompue.

Un bactériologiste allemand, Paul Ehrlich déclarait au début du XXè siècle qu'il était impossible pour l’organisme vivant de retourner contre lui-même ses défenses immunitaires. Impossible vraiment ?

Depuis que l'on a progressé dans la compréhension du système immunitaire, on a compris que le concept d’auto-immunité était bel et bien l’explication pour toute une série de maladies chroniques inflammatoires comme la polyarthrite chronique, la myosite, la spondylarthrite ankylosante, le lupus, le diabète de type I, la thyroïdite d’Hashimoto, ou la sclérose en plaque…  appelées pour cette raison maladies auto-immunes. Celles-ci touchent 6-7% de la population générale et constituent la 3e cause de maladies chroniques après les maladies cardiovasculaires et le cancer . Leur fréquence a d’ailleurs tendance à augmenter avec le vieillissement de la population.

 

Lymphocytes mal éduqués

L’auto-immunité est donc une réaction immunitaire qui s’exerce contre l’organisme lui-même. Les acteurs de l’auto-immunité sont cependant naturellement présents chez tout être vivant. Nos cellules immunitaires (lymphocytes) subissent après leur naissance ?  une « éducation » au cours de laquelle ils apprennent à distinguer les auto-antigènes – qui marquent nos propres tissus et qu’il faut préserver – des antigènes extérieurs qu’ils doivent éliminer. Au cours de cette étape d’éducation, une grande partie des lymphocytes sont détruits soit parce qu’ils ne savent pas fabriquer les récepteurs pour reconnaître les différents types d’antigène, soit parce qu’au contraire, ils produisent des auto-anticorps. Les mécanismes d’élimination de ces lymphocytes « mal éduqués » dits auto-réactifs, ne sont cependant pas suffisants pour les supprimer tous et il persiste donc dans l’organisme des lymphocytes agressifs pour nos propres antigènes. Mais le système immunitaire a les moyens de maintenir ces éléments subversifs sous contrôle en calmant leur intolérance naturelle. Un peu comme une société démocratique qui tolère en son sein l’existence de groupuscules extrémistes tout en veillant à ce qu’ils ne puissent passer à l’action pour la détruire. Cette auto-immunité  a d’ailleurs son utilité car elle permet d’éliminer des auto-antigènes vieillis ou détruits et elle participe ainsi à la régulation de la réponse immunitaire.   

Cependant, sous l’influence de différents facteurs tant externes qu’internes, ce système d’autorégulation immunitaire peut devenir défaillant, et une fois la tolérance rompue, ces lymphocytes auto-réactifs agressent les cellules et les tissus de l’organisme comme si ceux-ci étaient des éléments toxiques externes. La maladie auto-immune se développe alors soit dans un organe spécifique (le pancréas dans le diabète de type I, la thyroïde pour la thyroïdite d’Hashimoto, le foie pour l’hépatite auto-immune,  ...) soit dans l’organisme tout entier (on parle de maladies de système, comme dans le lupus, la polyarthrite chronique,  …).  Rien n’étant jamais simple d’ailleurs en médecine, ces différents types de maladies auto immunes peuvent coexister.

 

Des causes internes et externes

Les causes de cette dérégulation – non du système immunitaire en tant que tel mais de ses mécanismes d’autocontrôle – sont multiples. Tout d’abord, le caractère familial de ces maladies plaide en faveur d’un terrain génétique prédisposant,  impliquant  différents gènes. Mais cet élément ne suffit pas à lui seul pour transformer notre lymphocyte auto-réactif tolérant en cellule agressive : l’environnement extérieur intervient aussi. Citons tout d’abord les infections, en particulier les virus, mais aussi des agents toxiques (et certains pointent du doigt le tabac ou encore l’exposition exagérée au soleil) ainsi que certains médicaments. Le risque des maladies auto-immunes est d’ailleurs un des arguments utilisé par les anti-vaccinateurs, mais un rôle déclenchant ou aggravant des vaccinations sur les pathologies auto-immunes n’est prouvé que dans une seule situation[1].  Ces facteurs environnementaux agissent soit par mimétisme moléculaire (parce qu'ils ressemblent à un auto-antigène), soit en modifiant la réponse immunitaire.

Nos hormones sont aussi susceptibles de faire basculer notre auto-immunité naturelle vers un état pathologique.  Les maladies auto-immunes sont ainsi plus fréquentes chez les femmes, surtout en période génitale active. Et enfin, la régulation de l’auto-immunité diminuerait avec l’âge comme en témoigne l’augmentation dans le sang de certains auto-anticorps que l’on observe après 65 ans…

 

Le rôle du stress

Des facteurs psychologiques – comme le stress ou la dépression – peuvent par ailleurs favoriser le développement des maladies auto-immunes. Certes la mise en évidence de la relation de cause à effet n’est pas facile car ces maladies sont elles-mêmes source de stress ou de dépression. Mais de nombreux éléments montrent l’existence d’interactions entre système nerveux et immunitaire : le système nerveux module le système immunitaire qui, de son côté, tient le système nerveux informé de son état de fonctionnement. Et les conclusions de plusieurs recherches vont dans le sens d’un rôle causal du psychologique. Une étude récente démontre que les lymphocytes T sont contrôlés par le système nerveux sympathique, qui gère notre réponse au stress. Selon d’autres chercheurs, des conditions de travail stressantes sont associées avec une augmentation du taux de maladies auto-immunes. Par ailleurs des événements psychologiques traumatiques vécus dans l’enfance sont susceptibles de favoriser le développement de maladies auto-immunitaires à l’âge adulte. Par contre, les symptômes des maladies auto-immunes comme le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde évoluent plutôt au gré des stress quotidiens que des gros traumatismes. Un profil de personnalité serait commun aux personnes atteintes par ces maladies (soumission, tendance à éviter les conflits, répression émotionnelle). Un autre argument interpellant est le lien entre dépression et maladies auto-immunes. Non seulement la dépression est fréquemment associée à ces pathologies mais des dérèglements de l’immunité naturelle avec apparition de certains auto-anticorps ont parfois? été mis en évidence au cours de la dépression.  Ces éléments ouvrent des perspectives comme l’importance d’une prise en charge globale de la maladie y compris dans ses aspects psychologiques ou la possibilité de définir des personnes plus à risque de développer des pathologies auto-immunes.

 

 

Le résultat de l’auto-agression immunitaire étant une forte réaction inflammatoire au niveau du ou des organes atteints, la cortisone est souvent le premier traitement prescrit vu ses puissantes propriétés anti-inflammatoires. Celle-ci d’ailleurs non seulement diminue l’inflammation qui détruit les tissus, mais réduit aussi l’expression du système immunitaire. Les médicaments immunosuppresseurs (comme ceux utilisés pour diminuer les risques de rejet d’un organe greffé) sont en effet  l’autre stratégie adoptée pour lutter contre les effets d’une auto-immunité qui n’est plus sous contrôle. Mais actuellement, l’espoir est surtout placé sur les biothérapies, anti-TNF et anticorps monoclonaux. Ces médicaments issus de la biotechnologie (et donc très coûteux …) agissent sur le système immunitaire en mimant une substance naturelle déficiente ou en diminuant l’action d’autres substances produites en excès. Anti-TNF et anticorps monoclonaux peuvent être comparés à des armes de précision qui visent des cibles bien précises  tandis que la cortisone et les immunosuppresseurs sont des bombardiers… Mais, revers de la médaille, en diminuant le pouvoir et les moyens du système de défense, on augmente la vulnérabilité  de l’organisme aux agressions extérieures. Tous ces traitements, y compris les biothérapies, accroissent en effet le risque infectieux et même cancéreux, risque déjà favorisé par la maladie auto-immune elle-même.

Les immunoglobulines, prescrites classiquement dans les déficits d’anticorps,  trouvent aussi quelques indications-certaines reconnues d’autres encore en cours d’évaluation -dans les maladies auto-immunes. Elles auraient en effet un rôle immunomodulateur, en neutralisant par exemple certains auto-anticorps dans la circulation. Côté nutrition, certaines études s’intéressent à l’intérêt d’un supplément d’oméga-3 pour la polyarthrite chronique mais sans résultats encore connus sur le long terme. D’autres préconisent des régimes excluant certains aliments (comme le lait ou les céréales) voire un régime végétarien, mais tout cela nécessite encore d’être évalué pour confirmation.  Et quant aux médecines dites naturelles qui prétendent agir sur le système immunitaire, on attend toujours les preuves de leur efficacité…


publié dans Equilibre en 2011

 



10/04/2015
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